
Marie Loana et Jean-Kévin, vos nouveaux modèles
1H25 en forêt
Vous en rêviez depuis des années ! Après bien des hésitations, vous avez enfin décidé de vivre ce qui vous fait vibrer. Cette année-ci, vous participerez au grand quizz dédié à la formidable histoire du chemin de fer. Que d’émotions en perspective, d’autant plus que le vainqueur de cet événement aussi cosmopolite que tendance repartira avec une tenue complète de chef de train, képi et sifflet inclus. Rien que d’y penser confortablement blotti dans votre ensemble slip kangourou et singlet assorti, vous en pleurez déjà de joie !
Encore faut-il aller jusqu’au bout de l'aventure. Mais vous y croyez ! Après tout, ce n’est pas pour rien que le livre qui a provoqué vos premiers et puissants émois intellectuels, émotionnels, spirituels et physiques s’appelle « Indicateur SNCB pour la Belgique : horaires du 12 décembre 1984 au 11 décembre 1985 ».
Toujours rayon lecture, vous augmenterez vos chances de remporter ce fantastique quizz en vous faisant offrir « 1H25 », la première œuvre entre roman graphique et bande dessinée signée Judith Forest. Car si le jour J on vous demande à trois minutes près le temps qu’il faut au TGV pour effectuer le trajet Paris-Bruxelles, vous plongerez sur votre buzzer pour hurler : 1H25 !!! Et au décompte final, cette bonne réponse soufflée par Judith Forest fera peut-être toute la différence pour vous départager d’André Michelot, dit Tchouc Tchouc, votre plus sérieux concurrent déclaré au titre du cheminot de l'année.
Pourquoi ce titre évoquant la navette ferroviaire entre les capitales belge et française? Tout simplement parce que Judith Forest nous livre une tranche de sa vie qui débute à Paris où elle étudie aux Beaux Arts pour se poursuivre et s’achever à Bruxelles. Ce qui m’inspire une réflexion profondément existentialiste. Que ce serait-il passé si Judith avait suivi son cursus artistique à l’académie de Marche-en-Famenne pour ensuite s’installer à Braine-le-Comte, capitale reconnue et acclamée de l’underground graphique ? Quel aurait été le meilleur titre pour son œuvre ? Si l’on se fie à un porte-parole de la SNCB, le doute n’est pas permis : 1H25 ce serait appelé 1H45 ! Mais la réponse perd en précision si l’on pose la même question à la LVFERMB*. Si le bouclage définitif avait été prévu un lundi, Judith Forest aurait appelé son livre 2H08. Le mardi, on aurait plutôt parlé de 2H56. Mercredi 2H38. Jeudi 3H87. Et vendredi, jour du poisson ? Vous auriez demandé à votre libraire de vous vendre « Train annulé, toutes nos excuses ».
Et pour lire ce bouquin, faut-il aussi 1H25 ? Impossible de vous répondre : son contenu m’a absorbé à un tel point que je suis incapable d’évaluer le temps qu’il m’a fallu pour le dévorer. Avec pourtant comme propos une histoire autobiographique relativement ordinaire mais irrésistiblement passionnante. Celle de Judith, de ses (non) amours, d'une certaine (a)culture "beaux-arts" et "artistes" de Paris mais qu'on retrouve aussi partout ailleurs, mais surtout de la difficulté d’être heureux et de s’aimer.
Là où certains auteurs français « hot » hier mais complètement froids aujourd’hui noient la vacuité de leur histoire et de leurs personnages sous des tonnes de « sex, drugs and rock and roll » convenus, Judith Forest ne se trompe jamais. Sans devoir utiliser le moindre artifice, si ce n’est celui de la sincérité. Et malgré sa froideur assumée sans pour autant être recherchée, on vit avec Judith au gré de ces 300 pages. La recette miracle ? Peut-être une lucidité ironique sans complaisance, y compris pour elle. Ou la très belle approche graphique en deux couleurs, avec un dessin qui colle parfaitement à ses émotions et à ses humeurs. Ou encore l'universalité de la difficile relation entre Judith et ses parents, relation abordée avec autant de pudeur que de franchise. Ou tout simplement la réalité des personnages, des villes et des événements, entre humanité, ennui et déceptions.
Un régal pour les yeux, les neurones et le cœur ! Et pour conclure, je me dois aussi de remercier personnellement Judith. Si un jour mes pas devaient malheureusement emprunter un autre chemin que celui de Marie-Loana, je sais désormais que la phrase magique " Et qu'est-ce que tu fais après ?" me permettra de retrouver illico presto le grand amour, ou à tout le moins quelques instants de chaleur humaine.
Judith Forest, 1H25, éditions de la 5ème couche.
*Ligue des Voyageurs Eternellement Râleurs et Mécontents de Belgique
Vos réactions en 1H25
—————
—————
—————
—————
—————
—————
—————
—————