
Marie Loana et Jean-Kévin, vos nouveaux modèles
Bouvard de la mort
Si aujourd’hui je vous ai quelque peu délaissés, c’est que j’ai fait une petite excursion dans notre capitale. J’y ai rejoint mon amie Anne, celle par qui j’ai le plaisir, j’espère partagé, de connaître bon nombre d’entre vous, puisque c’est elle qui m’a conseillé de livrer nos petites réflexions sur internet. C’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai pu tout de même vous faire parvenir l’un ou l’autre message et malgré l’insistance de mon amie, je tiens à remercier son employeur de m’avoir permis de le faire.
Désirant acquérir l’un des ouvrages de l’un d’entre vous afin de le mettre à l’honneur dans notre bibliothèque, je me laissai guider par Anne vers la librairie la plus proche de son bureau, Filigranes.
Je dois dire que malgré la mine un peu dépitée de mon guide, je fus positivement impressionnée par les lieux. A l’entrée, une camionnette proposait une dégustation de vins chauds et autres plaisirs de bouche. A l’intérieur, un monsieur accueillait le client en lui annonçant au micro diverses joyeusetés.
Evidemment, je fus un peu surprise qu’un si haut lieu de la culture bruxelloise m’annonce avec fierté la venue prochaine, « en exclusivité en Belgique, de Valéry Giscard d’Estaing », qui est tout de même un iconoclaste de la pire espèce, mais bien vite rassurée à l’évocation de la visite suivante, à savoir celle de Monsieur Lévy. Je vous épargne les qualificatifs dont Anne affubla l’un et l’autre. Sachez seulement que parfois, des âmes complices peuvent éprouver certains désaccords et les exprimer de manière fort contrastée sans pour autant s’éloigner l’une de l’autre.
Mais je n’en avais pas terminé avec les surprises que me réservait cette petite excursion. Quel ne fut pas mon étonnement de voir, en plein milieu d’une librairie, une petite cantine. Personnellement, je trouve cela un tout petit peu déplacé mais bon, il suffit de bien vérifier que les ouvrages qu’on achète ne sont pas tachés de mayonnaise et après tout, il m’arrive aussi de manger entourée de mes livres !
Mais là non plus, Anne ne souhaita pas s’attarder. Pour sa gouverne, elle travaille beaucoup et tenait à rentrer au bureau assez rapidement. Je me demande tout de même pourquoi elle a tenu à m’emmener chez Filigranes alors que visiblement l’endroit a le don de l’énerver, ce que d’ailleurs je ne comprends pas très bien non plus. Même si en effet, c’est un peu le fouillis, là dedans : classements aléatoires ou du moins inintelligibles pour un esprit littéraire féminin, grande foule et employés impossible à repérer, si ce n’est quand ils sont trop occupés pour vous venir en aide.
Résolue à rendre sa recherche aussi efficace que possible, Anne décida de faire la file à la caisse du fond. Celle où il n’y avait qu’une cliente dont les livres étaient déjà dans un sac. Je dois dire que même moi je fus un tout petit peu agacée quand finalement, le vendeur lui proposa de sortir les ouvrages et de les emballer pour les fêtes. Mais il fut d’une dextérité assez remarquable et notre tour vint rapidement. Nous apprîmes alors que l’homme que nous cherchions était celui de la caisse d’en face, perdu derrière des montagnes de livres qu’il était en train de trier. Lui-même fit grandement avancer notre recherche en nous annonçant que les ouvrages de notre ami n’étaient plus disponibles.
Un peu déconfites, nous parcourûmes quelques rayons et Anne m’offrit un coffret de bandes-dessinées dont je vous parlerai à l’occasion. A l’une des caisses principale, quelle ne fut pas mon étonnement de découvrir un livre de Monsieur Bouvard : « Je suis mort, et alors ? ». « Monsieur Bouvard est mort ? C’est une biographie ? » demandai-je au vendeur qui, amusé, me répondit : « Non non, il est vivant, c’est justement ça la subtilité ».
Alors là, mon sang ne fit qu’un tour. Ce Monsieur Bouvard, je ne l’aime pas, mais vraiment pas du tout. Moi qui évite de juger les gens à leur physique, je dois dire que ce petit monsieur a poussé très loin la correspondance entre le sien et son propos, qu’il émaille en permanence de ce que j’ose qualifier de cochonneries.
S’il s’appelait Diam’s, Monsieur Bouvard serait certainement rappeur. Avec ceci de pire que lui ne se contente pas de nous assener ses propres bêtises : il a assis sa notoriété sur les inanités des autres. Ces humoristes, ces chanteurs, ces comédiens et autres célébrités qui n’ont rien fait pour l’être à part cultiver leur poitrine. Ces écrivains et penseurs qui dans des moments d’égarement lui ont jadis fourni de quoi lui permettre aujourd’hui de qualifier son émission de « culturelle » et qui doivent se retourner dans leur tombe.
Et le pire, c’est qu’en disant cela, je suis consciente d’aller à l’encontre de bien des gens. Car il semblerait que Monsieur Bouvard ait des admirateurs. Beaucoup d’admirateurs. Il paraît même qu’il est drôle.
Personnellement, je pense et j’ose affirmer que Philippe Bouvard est à la subtilité ce que Jean-Kévin est au sport automobile. Un étranger. Un paria de la chose. Un exclu.
Je m'abstins de tout commentaire. Je me contentai bravement de feindre de consulter les autres ouvrages qui étaient exposés aux caisses. Je fis même l’acquisition de « L’art d’avoir toujours raison », de Monsieur Schopenhauer. Et je laisse à Monsieur Bouvard, qui gratifiera certainement Filigranes d’une visite exclusive, celui intitulé « L’art de se taire », sur lequel, peu concernée, je ne m’attardai pas.