
Marie Loana et Jean-Kévin, vos nouveaux modèles
Mittal à la sauce lapin
Et si notre nom influençait fondamentalement notre vie ? Prenons un exemple. Pour assurez vos vieux jours, vous souhaitez que votre fils soit à la fois brillant, bel homme, drôle, athlétique, intelligent, professionnellement irréprochable et bien entendu généreux. Un seul choix s’impose pour parvenir à vos fins : vous lui attribuerez le petit nom de Jean-Kévin. Dès cet instant, gloire, amour, richesse et beauté lui seront instantanément promis.
À lui et donc surtout à vous, ce qui vous permettra si vous évoluez dans les mêmes sphères professionnelles que moi de vous targuer d’une tirade historique destinée à votre chef bien-aimé : « Bon Didjé, après 15 ans à travailler au Ministère des Finances, ça me paraît normal de te faire ma déclaration. N’en fais pas un fromage bleu, hein, je te connais, quand tu retrousses ta lèvre du dessous de cette manière, c’est que tu es bougon, si pas colère. En parlant de tes lèvres, je me suis toujours demandé pourquoi tu te les es fourrées de Botox avec la même conscience qu’un amateur de genièvre s’imbibe de peket un 15 août en Outremeuse. C’est parce qu’à l’époque tu te sentais tout chose devant les posters de Pamela Anderson de ton kot d’étudiant au Sart-Tilman? T’as-t-on déjà dit que le résultat est très vilain ? D’après un collègue qui a travaillé quelques années au musée des sciences naturelles, on dirait des hémorroïdes d’éléphant asiatique. Mais bon, je parle, je parle et je m’égare. Je sais que tu es un homme pressé donc je ne vais pas abuser de ton temps. Avec toutes les carabistouilles que te font les Michel, tu as assez de soucis comme ça. Je vais te la faire à la mode rébus, ma déclaration. Tu l'ignore peut-être, mais nous autres qui travaillons pour toi à la tour des finances, on aime bien ça. Comme d’ailleurs les mots croisés du Ciné Revue et de la DH. Donc mon rébus, le voici… Ce n’est ni un B3 ni un D5, c’est quoi ? Arrête de marmonner entre tes dents, Didjé, les gens vont encore croire que tu es sardonique. Donc tu dis C4 ? Mais c’est bien mon Dédé, y a rien à dire l’Unif de Liège y a que ça de bon pour fabriquer de l’intellectuel haut de gamme. Ben oui, mon pitchou, t’as bien compris, je m’en vais. Le fiston m’offre une villa à la Costa Brava et les euros qui vont avec donc tu penses bien, hein, la Belgique et le Ministère, c’est fini. C’est pas que je t’en veux mais, bon tu me comprends c’est la vie. Si tu veux à l’occasion on s’appelle et on se fait des boulets chez Lequet. Et pour les élections, je ne te le dis pas mais je le pense très fort, hein m’fi ! ».
Prise à froid, cette assertion d’un lien entre nom et destinée vous paraît sans doute aussi ridicule qu’un premier ministre belge amateur de chant patriotique un 21 juillet, ce à quoi je vous donne entièrement raison. Mais quoi que vous disiez, il est tout à fait possible que vous ayez déjà cédé à ces pensées quelque peu irrationnelles.
Car si vous avez des enfants, il est probable que vous soyez l’heureux propriétaire de 17 ouvrages éducatifs dont la linographie fleure si bon le polycopié des années 70 et qui sont censés faire de vous les meilleurs parents du monde, en toute sérénité et sans le moindre éclat de voix. Et avec à la clé la certitude que la perfection de vos enfants fera pâlir d’envie les généticiens les plus tordus du dernier siècle, pour peu qu’ils soient toujours à l’écoute du monde depuis leur retraite sud-américaine.
Et il est tout autant possible qu’avant, pendant ou après avoir attentivement étudié ces écrits familiaux, vous vous soyez aéré l’esprit grâce à la lecture de « Tous les prénoms du monde : leur véritable signification » qui précède d’ailleurs celle de « La mycose pédieuse et génétique de mon fils fera-t-elle de lui un serial killer ? », ouvrage judicieusement sous-titré « Puer des pieds pousse-t-il à tuer ? ». Donc avouez: vous y croyez au moins un petit peu à cette histoire d'influence nominale!
Donc vous avez peut-être la preuve qu’il vous est déjà arrivé de flirter avec le surnaturel. Et pour accentuer ce doute que vous sentez sans doute poindre dans les tréfonds de votre moi intérieur (donc de votre vous intérieur, puisque ce n’est pas le mien), avez-vous déjà songé à l’étrange lien qui unit le nom d’un des hommes les plus puissants de la planète et son destin ? Car s’appeler Mittal et être le numéro un mondial de l’acier, c’est plus qu’une coïncidence. Imaginez quelques instants ce qu’aurait été la vie de ce modeste artisan si la seule lettre M avait déserté son patronyme... Aurait-il pour autant été condamné à devenir le roi de la boucherie du seul fait qu’il se serait appelé Ittal ? Ou si l’étal de l’équarisseur n’avait pour une raison ou l’autre pas assouvi ses ambitions, aurait-il fait carrière dans le ravioli sous prétexte que son nom rappelle un pays méditerranéen symbolisant la pâte de qualité ? La question mérite d’être soulevée…
Cette question, Nicolas Ancion se l’est sans doute posée lorsqu’il a rédigé sa dernière œuvre intitulée « L’homme qui valait 35 milliards ». Car cet inconnu au prix pour le moins substantiel qui tient la vedette de ce roman que l’on peut qualifier de belge, si pas de liégeois, est le même Monsieur Mittal, un homme qui tient dans ses mains le sort de milliers de travailleurs actifs dans la fort peu fringante sidérurgie locale. Notre ami Nicolas a en tout cas l’esprit pour le moins facétieux puisqu’il imagine que ce magnat économique est enlevé par Richard et dans une moindre mesure Léon, deux liégeois qui ambitionnent de lui ouvrir les yeux sur la vraie vie des gens qu’on qualifierait en France « d’en bas ». Leur plan ? Obliger leur invité forcé à accomplir des copies d’œuvres ou d’événements artistiques contemporains. Il faut dire qu’un député provincial local a promis à Richard une place à l’académie à condition qu’il crée un acte artistique susceptible de marquer les esprits. Ce qui ajouté à la détresse d’une de ses connaissances qui vient de perdre son boulot d’ouvrier métallurgiste dans l’empire Mittal a aiguisé son imagination.
Sous sa plume aussi agréable qu’ironique, Nicolas Ancion nous fait saliver en introduisant sans complexe dans son histoire tout ce que l’on aime accoler à l’image de la Belgique. Comme l’émission strip-tease, les cafés qui survivent dieu sait comment et dans lesquels seule la bière mérite d’être bue, les paysages citadins bruxellois et industriels liégeois, quelques hommes politiques non-nommés et très facilement identifiables avec toute la jubilation qui accompagne leur description,… Et même si l’originalité de l’histoire tire parfois un peu en longueur, chaque page de ce livre est un régal, grâce notamment à un style très acéré, à des répliques qui percutent et à une vraie trame sociale mai néanmoins légère. Et comme ce livre annoncé à 35 milliards ne coûte en fin de compte pas plus de 20 euros, foncez sans vous retourner chez votre libraire préféré!