Marie Loana et Jean-Kévin, vos nouveaux modèles


Ambitions

 

Avoir pour patron Monsieur Reynders (Marie-Loana me trouve vulgaire quand j’utilise du Didjé pour parler de lui, donc je m’incline) et passer ses 7H36 de travail dû à la nation dans les chiffres me rend sans doute plus enclin que d’autres à tirer des bilans. Et aujourd’hui, alors que l’heure de la deuxième pause café venait de sonner, c’est ce que je me suis autorisé. Après tout, esprit vagabond n’empêche pas l’impôt de faire bonbon, affirme un proverbe fiscaliste.

Le thème de cette minute philosophique ? C’est le premier dossier trouvé dans mon casier en plastique brun déteint qui me l’a inspiré. Aujourd’hui, le café littéraire Jean-Kévinien sera consacré à ce qu’il reste de nos ambitions d’enfant une fois devenu adulte.

Et donc en ouvrant le dossier glissé dans la farde de circulation tachée de graisse qui se trouvait dans le casier dont je viens de vous parler, farde elle-même déposée dans l’étagère qui jouxte le local fumeur, local désaffecté depuis un début de feu provoqué par un cigare oublié et qui a failli coûter sa place à un de mes collègues qui se trouve être le seul amateur de Partagas du bureau, donc disais-je c’est à ce moment-là que ma concision d’esprit, particulièrement remarquable lorsque je raconte ou quand j’écris, s’est une fois encore manifestée.

Car pour me rappeler du nom que j’avais sous les yeux, il ne m’a fallu que quelques secondes. Monsieur X (on ne rigole pas avec les données privées quand on donne sa sueur et son savoir pour notre sainte Belgique) a fréquenté les mêmes institutrices que moi de ses 7 à 12 ans. A l’époque, il ne pouvait s’empêcher de laisser couler une larme au coin de son œil droit quand il parlait de l’adulte qu’il serait. « Plus tard, je serai un sale con ! » avouait-il des trémolos dans la voix.  

Et fidèle à ses rêves innocents d’enfant, il a tenu parole. Aujourd'hui, il se retrouve entre mes mains prestes pour avoir tenté de tromper la perspicacité de Monsieur Reynders. Sa tactique ? Faire passer la très onéreuse double customisation des échappements de sa voiture en frais professionnels. En homme de goût qu’il est, notre stradivarius de la chose fiscale, ministérielle et présidentielle ne s’est évidemment pas laissé berner, et me voilà plongé dans une lecture qui inspire ma réflexion parfumée à la madeleine. Je serai bien entendu le seul et unique héros de mes cogitations. Retour donc sur mon passé dont ressurgissent mes ambitions enfantines, de la plus innocente à la moins avouable.

Ma réminiscence la plus datée trouve son inspiration dans le gazon vert de Wimbledon et les raquettes en bois de Bjorn Borg ou de Jimmy Connors. Ah, quelle magnifique époque pour le tennis ! Dans ces années-là, les groupes de rock ne crachaient pas leur haine de la société mais préféraient chanter les louanges de cette saine jeunesse sportive et facétieuse. Je me vois encore à l’arrière de la voiture familiale entonner de concert avec Joan Jet « I love Mac Enroe ! ». Que c’était beau et vertueux !  Et ma décision s’en trouvait renforcée : dans quelques années, je remporterai l’un de ces grands tournois, ou dans le pire des cas j’atteindrai la finale. Ma raquette en plastique et la pureté des coups que j’assénais à cette balle de mousse jaune l’affirmaient haut et fort. Mais vous le savez sans doute si vous avez pris la bonne habitude de me lire, trop de talent tue le talent. Et quelques décennies plus tard, j’ai abandonné ce sport finalement très vulgaire pour le bridge. Car une discipline dans laquelle je n’ai toujours pas remporté une rencontre officielle ne peut qu’être vulgaire. Sans oublier que battre la terre n’est pas une pratique moralement défendable à mes yeux. 

Mais l’homme poly talentueux que je suis a aussi été un enfant prodige. Ce qui explique que mon champ d’ambition ne pouvait pas se limiter à la pratique sportive, ses odeurs d’embrocation et son esprit de franche camaraderie. Un vent artistique que rien ne semblait pouvoir arrêter commença à souffler sur mon jeune esprit pour m’emmener au pays de la musique.

Mes idoles ? Déjà à l’époque, j’aimais m’ouvrir aux autres, ce qui explique donc la pertinence et l’éclectisme de mes goûts. Ceux à qui je faisais l’honneur d’accorder mes faveurs s’appelaient Duran Duran, Wham, Modern Talking, Dead or Alive, Pia Zadora ou encore Sigue Sigue Spoutnik. La force de leurs compositions et la profondeur de leurs textes leur vaudra d’ailleurs d’être étudiés dans les meilleurs académies pendant encore quelques siècles.

Impatient de leur rendre un hommage discret, j’avais décidé de m’inspirer de leur mise vestimentaire pour me rendre à l’une de mes premières soirées dansantes. En piochant ce qu’il y avait de meilleur chez chacun d’eux, j’ai pu composer une tenue remarquable. Pantalon blanc (très) près du corps. Echarpe filetée, en réalité un des éléments de la table de ping-pong familiale, sport dans lequel soit dit en passant j’excellais aussi. Chaussettes du même jaune fluorescent que celui de gilet que Monsieur Schouppe souhaite nous voir emporter à tout moment en voiture. Bottes de cowboy de style « santiags » (en fait celles du déguisement de Buffalo bill de mon cousin Gontran, deux pointures trop petites mais terriblement seyantes). Chemise ornée d’une kyrielle de symboles et dont le col aurait fait jaunir d’envie Monsieur Mao. Cheveux au vent mais aussi en l’air grâce à la bouteille de laque empruntée à ma mère.   Gilet sans manche en mohair oublié par une vieille tante un soir de réveillon. Et bien entendu une série impressionnante de petites capsules en fer que d’aucun appelaient badges et qui clamaient mon amour de la grande musique.

Flamboyant je suis, flamboyant j’étais. Et ce n’est que par pure jalousie que quelques expressions désagréables fusèrent de la bouche de certains camarades. « Toi la tapette, dégage ! » « « Elizabeth II, dégage ou je te fracasse » « La collecte pour les petits riens, c’est pas ici »… Trop avancé pour mon époque et malgré l’admiration que ce soir-là j’avais pu lire dans de si nombreux yeux, y compris lorsque ma tête s’est retrouvée par accident plongée dans un bidet de WC pour ensuite visiter une des poubelles de notre si belle cour de récréation, je renonçai finalement à cette voie musicale.

Mais l’heure tourne ! J’interromps donc avec regret ma réflexion pour rejoindre mes collègues qui m’attendent à la pointeuse. Bonjour chez vous ! 


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