Marie Loana et Jean-Kévin, vos nouveaux modèles


Carnaval au Cottage

 

« Jean-Kévin, tu n’y couperas pas ! Ce soir, tu porteras le sabot ! ». Lorsque Marie-Loana a une idée dans la tête, inutile de seulement essayer de l’en dissuader. Même à coups de pied, ensabotés ou pas. Avant tout, que les âmes sensibles se rassurent, mon naturel paisible m’interdit de recourir à de telles extrémités belliqueuses avec mes extrémités. Mais allons droit au but. Quelles mystérieuses raisons peuvent donc pousser Marie-Loana à me transformer en gravure de mode dédiée à l’homme tendance du XVIIème siècle ? Tout cela ne tient qu’en un seul mot : Facebook ! Depuis qu’elle s’adonne aux joies de la socialisation numérique, Marie-Loana a noué des amitiés aux quatre coins de la Belgique, avec des personnages aussi colorés que folkloriques.


Et c’est précisément de folklore dont il sera question ce soir, puisque j’ai accepté quasiment contraint et forcé d’accompagner ma tendre à une sorte de procession annonciatrice d’un rite païen dans lequel l’orange fait office de divinité. Est-ce mon amour pour les agrumes, et en particulièrement la bergamote, qui a fait pencher la balance du bon côté ? Impossible à dire, mais j’ai finalement cédé.


Tel un ethnologue avisé, je me suis minutieusement renseigné sur la teneur réelle de notre expédition. Ce qui m’a permis d’apprendre qu’à l’image de ces réunions où toutes les personnes qui vivent sur notre vaste terre et qui portent le même nom de famille, sans pour autant se connaître, célèbrent la force et la vigueur de leurs ancêtres communs, cette cérémonie faisant la part belle au paganisme possède un critère de sélection draconien… « Si et seulement si gilles tu te prénommes tu pourras te bourrer la trogne en t’empaillant sans vergogne», affirme le proverbe séculaire hennuyer qui en l’occurrence fait office de parole divine.


Donc nous voilà embarqués pour visiter la Belgique profonde et ses traditions. Avant même de commencer, notre soirée a été riche en péripéties. Moi qui apporte autant de soin à respecter le code de la route que ne le fait un colombophile à lustrer le plumage de son pigeon vedette, j’ai été flashé par un radar ! « Je dois t’appeler Jean-Kévin Fangio ? » La remarque acerbe de Marie-Loana a eu le don de m’irriter, car pensez-vous qu’il est possible d’avoir le pied léger lorsque l’on est chaussé d’un sabot de trois kilos ? Ne vous torturez pas les méninges, la réponse est non ! Mais nous n’étions pas encore arrivés au bout de nos émotions. Car une fois sur place, nous avons dû nous rendre à l’évidence : nous n’étions pas sur place. Et pourtant, les instructions de notre ami Vincent, notre hôte du soir, étaient sans équivoque. « Venez au Sous-Mons, vous verrez, c’est génial ! ». Mais dans la partie basse de la ville du Doudou, point de Vincent, ni d’oranges et encore moins de folklore ou de génie. Après avoir appelé notre ami et deviné de grands éclats de rires que je qualifierais de moqueurs, puis avoir subi de nouveaux sarcasmes Marie-Loaniens, nous voici finalement dirigés vers la bonne destination, à savoir le village de Sainte-Gertrude-les-Djotes.


Il ne nous restait plus qu’à retrouver notre ami que nous allions enfin rencontrer en chair et en os… et d’ailleurs en l’occurrence plus en os qu’en chair. Un petit blond avec une Cara pils à la main : la description plus ou moins sommaire dont il nous avait gratifié ne nous a pas facilité la tâche. Et elle nous a valu de nouvelles salves de quolibets, puisque nous avons dû nous mélanger à la populace locale pour retrouver ce fameux blondinet. Et cette populace est apparemment douée dans le jugement critique tout en étant peu avare en préjugés visant notre mise vestimentaire… Quoi ? Ces lunettes XXL clignotantes ne sont pas à la pointe de la mode ? Et des sabots avec du tweed, c’est comme manger du caviar accompagné de ketchup ? Mais y a-t-il seulement une personne dans cette bourgade qui ait jamais tenté de marier les œufs d’esturgeon avec de la pâte tomatée ? Non ! Et quand on ne sait pas, on se tait à jamais !


Heureusement, la persévérance est une qualité souvent récompensée, et nous voici donc finalement en face de notre hôte. Après nous être serrés vigoureusement la main, sa première réflexion fut à mon sens un cinglant désaveu public pour Marie-Loana : « Mais… Jean-Kéké… Pourquoi ces sabots ? Sans chaussettes dans la neige, tu vas attraper froid mon pauvre ! ». Alors oui, je confonds peut-être soumonces et Sous-Mons, mais moi au moins je n’entends pas Saboots quand on parle de Moon Boots ! Et peu importe que sa consultation frénétique du web ait confirmé sa première impression, Marie-Loana avait tort et moi les pieds gelés !


Je vous épargnerai l’intérêt plus que prononcé de Vincent pour le mohair de Marie-Loana, et en particulier pour le renne qui met si bien en valeur ses atours, pour me concentrer sur la suite des événements. Malgré tous ces contre-temps, nous nous sommes finalement assez rapidement intégrés à l’ambiance locale, grâce notamment au talent de quelques fanfares et musiciens locaux. C’est ainsi qu’après avoir goûté la Cara pils du coin, je me suis engagé formellement à figurer sur les listes électorales, parce que paraît-il « Vous feriez un splendide Bourgmestre, Monsieur Jean-Kévin ! ». Je dois bien vous avouer que je préférerais que cette anecdote n’arrive pas aux oreilles de Monsieur Reynders à qui je refuse depuis des mois de me lancer dans la chose politique.
 

Mais l’excès d’enthousiasme nuit parfois à la bonne humeur, avec pour conséquence que notre soirée s’est terminée en eau de boudin, ou plutôt en eau de houblon. Et avec à la clé une commotion cérébrale pour Marie-Loana qui, dans un troquet appelé le Fokal, a été malencontreusement touchée par une imposante baguette appelée mailloche pour ensuite se fracasser le crâne contre un mur. Pendant ce temps-là, certaines mauvaises langues affirment que je ronflais dans les Water Closets. Ce qui est bien évidemment faux : je méditais sur le sens du folklore dans nos sociétés post-modernes, essai philosophique dont je vous gratifierai très prochainement.